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Les protestants et Nantes : une minorité au cœur d’une ville portuaire

ActualitésPublié le 29 avril 2024

[Interview] Théologien et historien, Charles Nicol vient de livrer un ouvrage de référence sur l’histoire des protestants et Nantes.    

Charles Nicol vient de livrer un ouvrage de référence sur l'histoire des Protestants à Nantes © Rodolphe Delaroque - Nantes Métropole
Charles Nicol vient de livrer un ouvrage de référence sur l'histoire des Protestants à Nantes © Rodolphe Delaroque - Nantes Métropole

Quelle est la genèse de cet ouvrage ?

Tout commence au début des années 1990, quand nous découvrons fortuitement les registres de l’Église réformée, considérés comme définitivement perdus lors des bombardements de la Seconde Guerre mondiale sur Saint-Nazaire. Les premiers noms mentionnés étaient ceux de marins, et de familles venues à Saint-Nazaire pour son port et la construction navale. Ces documents précieux nous ont permis de cerner un profil de cette minorité protestante aux 19e et 20e siècles. Nous avons voulu élargir cette étude à la fois maritime et urbaine à l’ensemble de l’estuaire. Et nous allons de surprise en surprise : par exemple, sait-on que les protestants sont à l’origine de l’industrialisation portuaire à Nantes ? Cela a abouti à une thèse de doctorat dont le livre est le produit.

De l’Édit de Nantes en 1598 à l’officialisation du culte réformé en 1803, comment le protestantisme s’ancre-t-il à Nantes ? Et quel est son poids démographique ?

On estime que les protestants représentaient 7% de la population nantaise au 16e siècle. Persécutés, ils disparaissent à la révocation de l’Édit de Nantes au 17e siècle. C’est par le biais d’étrangers originaires de Suisse et d’Europe du nord que le protestantisme renaît à Nantes au 18e. Fort discrètement, car le culte n’est pas admis avant 1803. Ils sont Suisses, Allemands ou bien encore Britanniques à l’instar de la famille Dobrée. Leurs activités se concentrent dans les manufactures et l’armement des navires de commerce.

Au 19e siècle, les protestants ne dépassent pas, au mieux, 1% de la population. Nous avons évalué la place des protestants au sein des différentes dynamiques du contexte portuaire, économique, social et politique à Nantes et à Saint-Nazaire. Le dépouillement des registres sur cette période nous a permis de mieux cerner la connaissance de cette minorité et de dessiner plusieurs profils qui évoluent au fil du temps.

Nantes, ville portuaire, est actrice de la Traite négrière et du commerce triangulaire atlantique. Quel est le rôle des protestants ?

Durant cette période, ils peuvent être classés en trois catégories : les négociants et armateurs qui ont participé à une centaine d’expéditions sur les 1 744 comptabilisées, les manufacturiers qui ont produit les marchandises de traite telles les étoffes, dénommées indiennes, et enfin les abolitionnistes. Ainsi Thomas Dobrée participe à la Société de la morale chrétienne pour l’abolition de la traite. Dans les années 1840, l’Église réformée nantaise prend la tête de la campagne pour l’abolition de l’esclavage.

Avec la Révolution industrielle au 19e, comment les entrepreneurs protestants marquent-ils Nantes de leur empreinte ? Et quelle est leur implication dans l’industrialisation portuaire et ses mutations ?

Il est vrai que la surreprésentation des protestants dans les affaires – 10 à 15% dans l’industrie et le négoce alors que les protestants représentent moins de 1% de la population nantaise – peut surprendre. Mais elle illustre leur capacité à s’engager et à prendre des risques. On peut dire que la métallurgie en Basse-Loire est conduite par les protestants : ainsi des industries d’Indret et de Basse-Indre ou bien encore la navale à Saint-Nazaire. Il en est de même pour l’industrie sucrière dominée en partie par les Say ou Cézard. Les fonderies par Jean-Simon Voruz. Très tôt ils s’investissent dans les œuvres sociales, notamment dans l’enseignement scolaire.

Et en politique ? Paul Bellamy a laissé une œuvre municipale considérable. Son exemple incarne-t-il l’engagement des protestants dans la vie de la cité ?

Paul Bellamy est le maire de confession protestante de Nantes le plus connu. Il était très investi dans l’Église réformée tant localement que nationalement. C’est le maire des grands travaux, des comblements de la Loire, de la gestion des réfugiés belges durant la Première Guerre mondiale. Il développe une stratégie de développement urbain tournée vers le port et un rapprochement avec Saint-Nazaire. Mais sait-on que Nantes a compté cinq maires protestants ? Et de nombreux députés ? Tous ont eu le souci de moderniser la ville. Finalement, le fil conducteur de l’histoire des protestants nantais et nazairiens, au-delà de leur appartenance confessionnelle, ce sont trois dénominateurs communs : la mer, la Loire et un port. En premier lieu, la mer, leur espace de liberté qui rime avec négoce. La Loire et ses rives sur lesquelles ils se sont établis et, enfin, pour paraphraser le dramaturge Corneille, « c’est toujours au milieu de leurs réussites ou de leurs écueils qu’ils ont rencontré le port ».

Propos recueillis par Loïc Abed-Denesle

 

L'info en +

Les Protestants et Nantes. Une minorité au cœur d’une ville portuaire, une histoire nantaise

« Contribution majeure à l’histoire contemporaine du protestantisme français, le livre de Charles Nicol enrichit également notre connaissance de l’histoire des élites sociales et de l’histoire politique locale du 19e siècle. Elle comble enfin de façon magistrale une importante lacune relative à l’histoire industrielle de la ville de Nantes dans sa première contemporénaité », conclut Bruno Marnot, professeur d’Histoire contemporaine à l’Université de La Rochelle dans la préface de l’ouvrage de Charles Nicol. C’est dire l’apport de ce dernier, au-delà de la question protestante, à l’Histoire de Nantes.   
Prix : 23€.
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